On ne peut pas dire que Mark Karpelès soit inconnu dans l’univers des crypto-monnaies. Il faut dire que l’ancien patron de la plateforme d’échange Mt. Gox fait l’objet d’un énorme scandale. Retour sur le parcours de cet homme difficile à cerner…
Né le 1er juin 1985 à Chenôve, une commune située dans le département de la Côte-d’Or en Bourgogne, Mark Karpelès ne fait pas de grandes études. Pour autant, il sera décrit plus tard par l’un de ses employeurs comme étant « un supergeek avec un QI de 190 qui mangeait et dormait avec son ordinateur portable. » Toujours d’après les propos de ce dernier, Gilles Ridel, « il n’avait que le bac mais on l’a vite payé comme s’il était sorti d’une grande école. » Rien à voir donc avec l’image d’un escroc.
Des petites copines « en .jpeg ou en .png et même en .avi »
Dans le documentaire où il apparait sur Canal + en 2007, Suck my geek ! (voir ci-dessous), il se décrit lui-même comme étant une personne au contact social difficile. « Quand j’étais en sixième, je discutais de physique quantique, et je n’ai pas trouvé beaucoup de monde avec qui en parler », expliquait-il dans le documentaire. Il n’avait alors que 22 ans. Quand on lui parle de copines, il répond en avoir beaucoup « en .jpeg ou en .png et même en .avi »… L’absence de relations sociales stables et saines apparait évidente. Sa vie entière tourne autour de l’informatique. « Il m’est arrivé de passer plusieurs jours d’affilée devant l’ordinateur sans bouger, juste en mangeant des trucs qui étaient à portée de main, et de passer cinq ou six mois sans mettre un pied dehors », déclare-t-il. S’isoler dans son propre monde ne dérange en rien ce geek qui, selon ses dires, se repose en codant, vérifiant « des trucs » et en regardant « de l’anime ». Il est à l’époque très connu sur le web sous le pseudonyme « Magical Tux ».
A 18 ans, il se fait embaucher à Paris chez Linux Cyberjoueurs, éditeur de jeux en ligne, en tant que développeur de logiciels. Tout semble parfait, mais en 2005, soit deux ans plus tard, la situation change brutalement. En milieu d’année, alors qu’il revient d’un séjour au Japon, les relations avec son employeur, Stéphane Portha, deviennent tendues. Dès le 30 juin, Mark Karpelès qui se faisait alors appeler par Robert (son deuxième prénom), ne se présente plus sur son lieu de travail. Cinq jours plus tard, son patron découvre alors que des données clients sont transférées sur des serveurs en France et aux USA, serveurs extérieurs à l’entreprise. Il s’aperçoit également qu’un nom de domaine de sa propre société est redirigé vers une autre adresse qui appartient étrangement à son employé volatilisé. Ce dernier démissionne le 6 juillet. L’affaire aurait pu se terminer là mais quelques mois plus tard, Stéphane Portha reçoit un appel de son ancien salarié qui lui propose de racheter son nom de domaine pour 2 000 euros, une proposition qui sera bien sûr refusée. Le gérant de Linux Cyberjoueurs porte plainte le 19 octobre pour « accès frauduleux sur un serveur informatique, modifications de données sur ce serveur et contrefaçon de marque ». A l’époque, le geek reconnaîtra devant la justice son piratage. Sur le web, il tentera toutefois d’expliquer son geste par son état dépressif et par sa divergence de points de vue avec Stéphane Portha quant à sa façon de gérer les sites. Il n’assistera pas à l’audience en 2010, prétextant ne pas être au courant des faits.
Le « Baron du Bitcoin »
Malgré les vices que laissent lentement apparaître le personnage, son explication est crédible puisqu’il quitte la France pour voyager en Israël quelques mois avant de revenir et se faire engager par le spécialiste du téléchargement de jeux vidéo Nexway. Gilles Ridel, PDG de l’entreprise, est alors impressionné par ce « génie de l’informatique, autodidacte ». Mark Karpelès y travaillera quatre ans avant de s’installer au Japon en 2009. C’est là qu’un nouveau départ l’attend. Il décide sur place de racheter la plateforme Mt. Gox. On est en 2011 et Mark Karpelès a 26 ans. Le bitcoin connait très vite un succès grandissant, rendant l’investissement réalisé plus tôt fructueux. En quelques mois, Mt. Gox devient la plateforme numéro un d’échange de bitcoins. 76% des opérations de change y sont réalisées, représentant la jolie somme de six millions de dollars par jour. Bien loin de se douter du scandale dont il fera ensuite l’objet, beaucoup le surnommait « le baron du bitcoin ». Il faut dire qu’au Japon, il mène une vie digne de riches personnages. Travaillant dans une tour de Shibuya, un quartier chic de la capitale japonaise, Mark Karpelès ne se refuse rien. Il loue en effet un appartement à 10 300 euros par mois et, selon la presse japonaise, se serait aussi offert un « lit de luxe » à 42 000 euros. La personnalité de ce geek affirmé est de toute évidence difficile à cerner.
Dès 2011, il doit faire face à une attaque informatique. Un pirate réussit à s’introduire dans les serveurs pour voler l’équivalent de 9 millions de dollars en bitcoin. Il emporte également avec lui des données personnelles sur les utilisateurs. Mark Karpelès se fait aussi réprimander par le Trésor américain pour ne pas s’être déclaré organisme de transfert de fonds aux Etats-Unis, une faute qui lui coûtera 5,5 millions de dollars, prélevés directement sur ses comptes. Dans le même temps, un ancien client le traîne en justice pour ne pas avoir conçu un site web pourtant payé 15 000 euros. Forcé de rembourser sa victime, il provoque de plus en plus d’inquiétudes au sein de sa petite entreprise dénommée Tibane (propriétaire de Mt. Gox) car il est le seul à avoir accès aux comptes bancaires et aux bitcoins. En février 2014, le CEO de Mt. Gox bloque brutalement toutes les transactions, empêchant par la même occasion à ses clients de récupérer leur argent. Les utilisateurs sont très en colère. Un terrible scandale éclate. Près de 350 millions d’euros se seraient volatilisés (850 000 bitcoins). Pour couronner le tout, Mark Karpelès disparait plusieurs jours avant de revenir le 28 février annoncer lors de la conférence de presse que sa plateforme a été à nouveau piratée. Son histoire n’apparait plus très convaincante…
Arrêté à Tokyo le 1er août 2015
Une enquête est ouverte et aboutit, un an plus tard, le 1er août, à l’arrestation de Mark Karpelès par la police de Tokyo. A 30 ans, il avait d’abord été interpellé pour avoir falsifié des données de la plateforme en 2013 dans le but de créer artificiellement un million de dollars. Il a ensuite été mis en examen en septembre 2015 pour falsification d’informations et détournement de 321 millions de yens, soit l’équivalent de 2,4 millions d’euros. D’après la presse nippone, un des geeks les plus connus du monde se serait offert avec l’argent détourné les services de prostituées. Son train de vie et l’achat du lit de luxe n’a fait que légitimer les nouvelles accusations qui lui seront portées et visant un transfert de 20 millions de yens (150 500 euros) de comptes utilisateurs vers son propre compte. L’agence de presse Jiji a ainsi évoqué des rencontres avec « plusieurs femmes dans des lieux offrant des services sexuels ».
Mark Karpelès continue d’intriguer le monde entier. Insaisissable, il expliquait sur son blog en 2006 être particulièrement opposé au phishing utilisé pour s’introduire dans les systèmes informatiques et escroquer les utilisateurs, jugeant l’opération « complètement contraire à [ses] principes éthiques ». Les valeurs prônées par le baron du bitcoin ont-elles été détruites par ses aptitudes en informatique ? Son portrait de geek abusé par des gens en qui il avait bien trop facilement confiance était-il créé de toute pièce ? Bon nombre de ses clients penseront certainement qu’il s’agissait d’un escroc, le Madoff du Bitcoin…
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